18/ Le naufrage du lac Togo

Publié le par Hélène

« Le naufrage du lac Togo » : le dernier roman tragique à la mode ? Non, non, la dernière anecdote de notre aventure africaine. Mais une anecdote qui aurait pu finir mal…

Je vous restitue donc le contexte. Nous sommes au Togo, à quelques dizaines de km de Lomé, sur une langue de terre entre mer et lac. La mer, ou plutôt l’océan, est hyper agitée et très dangereuse et nous avons choisi un petit hôtel au bord du lac, plus tranquille. Mais tellement tranquille qu’il n’y a aucune boutique alentour et qu’à l’hôtel il n’y a pas grand chose à boire et manger, c’est très cher, et on finit par s’ennuyer un peu.

On décide donc d’écourter notre séjour et de traverser le lac pour aller passer quelques jours à Togoville, ville berceau du Vaudou, et ayant donné son nom au pays.

Les pistes sont toutes cabossées, il n’y a pas de taxi voiture, nous n’avons pas très envie de prendre le taxi moto avec les gros sacs à dos. La solution la plus facile, et qui plus est conseillée dans les guides, semble donc la pirogue.

Nous en trouvons une juste prête à partir. C’est une chance parce qu’il n’y en a pas non plus 50 par jour.

Et voilà que dans la tête de Jérôme, un salut amusant a envie de s’exprimer : « Bonjour à vous, on vient vous aider à couler le bateau ». Ces mots resteront dans la tête car sur le moment, on se dit que c’est pas forcement très marrant. Et puis dans toute blague, il y a pas mal de vérité.

Elle est déjà chargée de 12 suédois fraîchement arrivés au bord du lac. Jérôme, nos 2 gros sacs à dos, et moi nous ajoutons donc à ce chargement.

Avec le piroguier en plus, la pirogue est bien chargée et est bien immergée dans l’eau marron du lac.

Nous commençons donc la traversée. Le piroguier est hyper autoritaire et nous ordonne de ne pas bouger d’1 cm. De l’eau rentre par le fonds de la pirogue, pas bien étanche, mais c’est normal. Et quelques vaguelettes rentrent et ajoutent un peu plus d’eau à nos pieds. Mais impossible d’écoper, car cela fait tanguer la pirogue et le piroguier craint que cela ne fasse rentrer plus d’eau, et il hurle dès que quelqu’un bouge.

Heureusement ce ne sont que quelques vaguelettes…

Jérôme : «  Tiens, il y a de la tension dans ma gorge. Pourquoi ? Ah mes orteils commencent à nager au fond de la pirogue et il y a ce bébé qui pleure fort derrière alors qu’il fait beau et que l’eau n’est pas particulièrement agitée. Il doit sentir aussi lui…C’est qu’il sont sacrément sensible ces petits. Bon, allez, on se concentre sur le souffle qui nous traverse et on nique la gueule à cette gorge serrée »


Sauf qu’une vaguelette + 1 vaguelette, ça fait rentrer un peu d’eau dans la pirogue, qui devient un peu plus lourde et s’enfonce un peu plus, puis ce sont 2 vaguelettes…


Jérôme : « Allez on ne s’inquiéte pas. Putain, on est un yogi oui ou merde ! Je ne bouge pas. I Stay still !  Comme le bouddha qui n’a pas bougé alors que les démons parcouraient son corps/esprit et que la douleur devenait intenable. Tu regardes et écoutes se qui se passe  à l’intérieur et à l’extérieur de ton corps et profite du souffle » Un léger sourire s’affiche sur mon visage. Le ciel lui sera toujours là et incapable de défaire la tension dans la gorge, je contemple le ciel et me retiens de dire qu’il faudrait quand même sérieusement commencer à écoper » 

Après qq souffles de contemplation, je ne peux m’empêcher de dire à la fille derrière de recommencer à écoper. Mais le piroguier la recadre. « Freeze ! On ne bouge pas, crie t’il, avec une voix très tendue » Après tout c’est quand même son métier. Ça se trouve, ça peut passer, juste, mais ça peut passer.

Si on écope…..


Bon et bien on va continuer à observer comment chacun réagit. Tiens, nos suédois chantent maintenant pour calmer le bébé…

Nous sommes arrivés entre la moitié et les 2/3 de la distance à parcourir pour rejoindre l’autre rive. Les visages sont un peu tendus, on ne blague plus, et un étrange calme s’est installé… Cela fait quelques minutes que tout le monde est plus ou moins conscient, je crois, de ce qui va arriver.


Jérôme : «Là, c’est clair, on est bon pour goûter l’eau. Le corps t’a prévenu il a déjà qq minutes avec des tensions. La raison confirme, il va y avoir de l’action. Une petite mise à l’épreuve."  J’ai toujours une sorte de léger sourire satisfait sur le visage malgré les tensions dans le corps. Les nuages et le bleu du ciel ont tellement de relief, de couleurs, de profondeur.
FLOUP.
Mon esprit redescend dans le bateau. Encore une vague.
Le ciel. Le corps.
FLOUP. FLOUP.
Pas de spéculation. On reste dans la présent. Dans le corps. Une forte pression/vibration se localise au niveau de mon thorax et commence à se propager dans le corps comme un Vzzzzzzz. Imaginer un marteau-piqueur qui émet des vibrations douces mais fortes. Il envoie des ondes qui rayonnent. Putain. C’est balaise ces sensations. C’est très net.


En quelques secondes, le poids de la pirogue devient trop important, elle s’enfonce dangereusement et finalement toutes les vaguelettes rentrent à l’intérieur. Ca y est nous coulons. Nous sommes sagement assis sur nos bancs en bois, nous nous enfonçons et la ligne d’horizon et la surface du lac montent plus haut dans mon champ de vision.

Drôle de sensation. Comment vais-je réagir en situation de crise ? Vais-je paniquer ou rester zen ? Le moment de répondre à cette grande question est venu.

Des gens, surtout les enfants je crois, commencent à crier. Le piroguier hurle pour interpeller un autre piroguier, qui doit se trouver à 200 m de nous. Je ne comprends pas ce qu’il dit mais sa voie est effrayée et il répète plusieurs fois la même expression, comme une disque rayé. L’autre piroguier se dirige vers nous en poussant sur son bâton en redoublant d’énergie.

Personnellement je suis pragmatique et étonnement calme. J’enfile mon petit sac à dos pour ne pas le perdre. Je regarde si Jérôme va bien et, très matérialistement, je m’inquiète pour nos 2 gros sacs à dos et toutes nos affaires très chères récemment acquises qui vont couler au fond du lac. Je commence à nager pour m’éloigner de la pirogue et éviter l’appel au fond de l’eau quand celle-ci s’enfoncera encore plus (ben oui j’ai vu ça dans « Titanic »). Mais là j’ai du mal à nager, je me sens tirée vers le fond, qu’est ce que c’est ???

C’est un monsieur qui ne sait pas nager et s’accroche à moi pour remonter vers le haut. Sauf qu’il me tire vers le bas…

J’appelle Jérôme au secours (Ah mon héros !), pour lui dire de venir m’aider à me débarrasser de lui (eh oui je dois avouer que mon premier réflexe est celui de la survie, sur le coup je ne pense pas du tout à ce monsieur !). Jérôme l’écarte puis nous nageons vers la pirogue qui est remontée miraculeusement (peut-être est-ce la vierge Marie. Elle est apparue sur ce lac en 1973 et Jean-Paul II est venu et a reconnu le miracle !). J’aperçois le monsieur en question qui se débat toujours dans l’eau comme un dératé pour surnager. Il s’enfonce et je l’attrape par le t-shirt mais n’arrive pas à le remonter. L’eau est marron et on ne voit rien. J’ai le bras tendu sous l’eau, il est au bout, c’est son dernier lien avec la surface. J’appelle Jérôme pour qu’il m’aide, nous le remontons et lui disons de s’accrocher à la pirogue.

Mais à part les quelques personnes qui sont accrochées à nos 2 sacs à dos, qui ô miracle flottent, et sauvent ainsi à la fois nos affaires et des gens, tout le monde s’accroche à la pirogue. Je leur dis de répartir leur poids sur toute la longueur de la pirogue et de ne pas tous s’agglutiner au même endroit, mais celle-ci se retourne déjà et recommence à s’enfoncer. Jérôme et moi la retournons donc.

Petit aparté : Je donne peut-être l’impression que Jérôme et moi sommes des héros, j’imagine que d’autres gens ont sauvé des gens dans ce « naufrage » mais je n’ai vu et enregistré que ce qui s’est passé dans mon petit périmètre…


Jérôme : La ligne d’horizon baisse. Le bateau s’enfonce.

FLOUUUUUUUUUUPPPPPPP........... Je me vois regarder Hélène et m’entends crier. « Chérie, Tu sais nager ? »

ACTION !

Et puis on nage à droite, nage à gauche. L’histoire de commencer par sauver sa peau. On écoute, on regarde partout,. « Chouchou, Il me coule. Aide moi » Et voilà que j’en éloigne 1 manu militari. Mon amour, c’est pas une bouée de sauvetage ! »

Ok.Elle est en sécurité.

"IL COULE" me dit-elle. Je tends le bras au fond de l’eau. Du tissu. C’est sacrément lourd. Putain, c’est un mec qui est déjà à 1 bon mètre sous l’eau. Et à la pêche. Mais il est con. Il est lourd et maintenant il me coule le salaud. Et moi qui essaye de le sauver. J’ai plus beaucoup d’air. Allez, là, il faut vraiment se dégager. «Ça urge. Surface. Un peu d’air. Ok. Et de 1. Je crie: "Is there anyone missing !" 

" Yes.  My child ! My child !"

MERDE. Je sais pas réanimer qq 'un. Là, c'est pas drôle.


Jérôme crie « Tout le monde est là ? Tout le monde est là ? ». Et là une femme répond « Aidez mon enfant ! ». Là dans ma tête, je me dis « Ouh la, cette petite aventure qui aurait fait une anecdote parfaite pour notre blog (non je plaisante je ne suis pas allée aussi loin, je me suis juste dit cette petite aventure pas trop grave) risque de se transformer en drame »…

Heureusement son enfant, un petit garçon d’environ 2 ans, n’est pas noyé, elle a juste du mal à le maintenir à la surface et Jérôme l’aide à le poser sur la coque retournée de la pirogue.

Je me rappelle qu’une petite fille de 12 ou 13 ans est affolée et pleure. Je ne sais plus du tout ce que je lui ai dit, mais je sais que je lui parle en anglais pour la calmer…ça ne marche pas.

Enfin l’autre piroguier arrive. Les gens se jettent vers sa pirogue, il est obligé de crier pour que tout le monde soit calme, et qu’on ne le fasse pas chavirer en essayant de monter dedans. Jérôme (et peut-être d’autres mais encore une fois mes souvenirs sont focalisés) hisse les enfants à bord, ainsi que le monsieur qui ne sait pas nager et qui est toujours complètement paniqué.

Je réalise qu’on ne peut pas tous rentrer dedans sinon on la ferait couler. Nous (tous les adultes sachant nager) allons devoir nous accrocher à un bord de la pirogue et battre des jambes pour accompagner la pirogue jusqu’au bord. Et là, pendant 1/10ème de seconde, j’oscille entre ma fameuse peur panique du requin et une irrépressible envie de me mettre à crier pour qu’on me fasse monter dans la pirogue, et la raison. Je choisis la raison. Nous sommes dans un lac, même s’il communique avec la mer (aaah !), et je me dis qu’entre toutes les jambes autour de la pirogue, avec un peu de chance je ne serai pas la première à être croquée et que j’aurai le temps de remonter sur la pirogue. Je ne me mettrai juste ni en première, ni en dernière, c’est certainement ces jambes là que le requin choisirait…

Oui je sais je suis un peu folle mais je vous raconte sans censure tout ce qui m’est passé par la tête à ce moment-là…

 

Je pense que nous devons être à 500m du bord. Après 300m de nage, exténuante car je ne suis pas en maillot de bain mais en pantalon et celui-ci pèse 3 tonnes avec le poids de l’eau et qu’en plus les sacs à dos, bien qu’ils flottent, sont extrêmement lourds à pousser dans l’eau, mon pied touche le fonds. Nous pouvons donc désormais marcher jusqu’au bord. Moi qui rechigne d’habitude à marcher dans l’eau quand je ne vois pas le fond, je n’ai pas vraiment le choix. J’essaie de ne poser que la pointe des pieds…il y a de la vase et parfois des coquillages, puis finalement je suis obligée de marcher avec toute la plante du pied.

Nous arrivons finalement près du bord. Mais il n’y a rien au bord à part de la végétation et nous devons continuer à marcher dans l’eau jusqu’au village. Jérôme tire nos 2 sacs à dos (ça l’équilibre !) qui sont très lourds mais continuent à flotter.

Après quelques minutes nous arrivons devant le village. Un monsieur est là pour nous accueillir, notre piroguier (celui qui nous a coulé) a couru le prévenir. Il nous dit très philosophiquement qu’il y a aussi des accidents en avion, en voiture, etc…et que le plus important est que tout le monde aille bien. Je crois comprendre qu’en fait il est responsable du syndicat des piroguiers ou un truc du genre. Son discours philosophe me semble donc plutôt être destiné à nous ôter toute idée vindicative de demander réparation…

Heureusement nous n’avions pas payé le piroguier à l’avance, je suis sûre qu’il aurait fallu se battre pendant ½ heure pour récupérer notre argent et qu’au final ils ne nous auraient même pas tout rendu. Le fameux « on s’est mal compris », synonyme de « moi je ne me remets pas du tout en cause, je vous répète 15 fois les mêmes arguments et quoique vous disiez et bien que vous cassiez tous mes arguments, je continue à les répéter et au final vous allez payer », que nous avons pas mal expérimenté pendant notre séjour en Afrique, aurait frappé une fois de plus !

Je vais remercier le piroguier qui nous a ramené jusqu’au rivage. Sans lui l’aventure aurait été beaucoup plus problématique. 4 enfants + 1 adulte ne sachant pas nager, il aurait été difficile pour tout le monde d’arriver jusqu’au bord.

Le monsieur que Jérôme et moi avons sauvé vient nous remercier. Cela me fait plaisir, même si je ne sais pas trop quoi répondre. Je pense que je réponds un vague « De rien ». Puis je m’aperçois qu’en fait les suédois s’autocongratulent et se remercient les uns les autres. Cela m’étonne, d’autant plus que j’ai l’impression que la plupart d’entre eux n’ont pas fait grand chose et se sont plutôt laissés porter par d’autres (nous, en l’occurrence).

On nous annonce qu’une voiture va venir chercher les suédois pour les ramener à l’hôtel. Jérôme et moi demandons à ce qu’on nous montre la route jusqu’au nôtre. On charge donc nos sacs. Ils se sont un peu vidés de leur eau mais pèsent une tonne. Une suédoise me dit «  Laisse ma copine porter ton sac, elle est très forte, elle est de la police ! ». Je refuse poliment mais je me dis surtout « Quoi elle est de la police, mais elle n’a rien fait du tout pendant le naufrage ». Je le sais elle était à côté de moi, et elle avait plutôt l’air paniqué…

Finalement un gars nous emmène (à pied) jusqu’à notre hôtel. Le type du syndicat dit à Jérôme qu’il faudra lui donner un peu d’argent pour le service. Jérôme s’indigne, et finalement on ne paiera pas. Mais ça n’empêchera pas le type, pendant qu’il nous emmène, tout trempés et venant quand même de vivre une expérience qui aurait pu s’avérer traumatisante, de nous proposer ses services de guide pour nous faire visiter la ville l’après-midi même…Ah je vous jure, business is business !



Jérôme :  Pour moi, c'est une remise en question. "Si tu étais bon ,  tu aurais mieux écouter. Cette envie de faire une blague sur un naufrage, cette envie d'écoper malgrè les ordres du pirogier." Sentir, Préssentir.  Voir, Prévoir. Ecouter et Agir. Agir par la non-action. C'est peut-être ne pas faire son sac un peu plus vite pour monter dans la pirogue.  C'est là ou tu veux aller.

Le Yoga. Faire ce qui veut être. Ne pas avoir de schéma, de conditionnement. Des actions et réactions fraiches en permanence. La route est longue mais au moins tu sais ou tu veux aller.  Et puis peut-être que cette pirogue allait couler de toute façon et que sans nous 2 et les sacs, il y aurait eu des pertes humaines.....Hum....Mais ou en suis-je ? 

Enfin, voilà une aventure qui nous aura coûté quelques heures de séchage, un appareil photo et 2 lecteurs MP3 qui ont rendu l’âme, mais qui alimente désormais nos conversations et devient l’anecdote « phare » de notre voyage en Afrique.

Plus le fait que maintenant nous savons, et c’est rassurant, que nous réagissons bien dans des situations d’urgence…même si je n’ai pas du tout envie d’en vivre d’autre ! 



 

Publié dans Afrique

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M
Salut les voyageurs,Mon premier commantaire sur votre blog. Et je dois dire que c'est vraiment l'aventure.Bon courageMatthieu
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N
brrr... ça fait froid dans le dos !Bravo pour votre sang froid et votre courageHélène, je ne te connaissais pas ces talents de romancière ! on est vraiment "plongé" (c'est le cas de le dire !) dans le récitMerci de nous faire partager celaBon vent pour la suite de votre péripleNico
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